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Joe Rogan contre les censeurs, chronique d’une cabale ordinaire

Le roi de Spotify, Joe Rogan, pourfendeur du prêt-à-penser aux États-Unis, a subi les foudres des gardiens du camp du bien, qui l’accusent de galvaniser le sentiment antivax aux États-Unis. Spotify n’a pas cédé aux injonctions de ces croisés du XXIe siècle.

Image d'illustration

La voix est rocailleuse, le ton grave. Sur le ring comme sur les ondes – il a été successivement champion de taekwondo, judo et jiu-jitsu brésilien dans sa jeunesse – Joe Rogan brille par sa pugnacité et sa témérité. Le visage rugueux, l’Américain de 54 ans s’adresse dans son style inimitable à ses abonnés sur la plateforme Spotify. En ce soir du 11 février, il reçoit le physicien Steven E. Koonin, spécialiste des réactions nucléaires. « Bonsoir à l’Amérique, et merci pour votre fidélité », commence-t-il chacune de ses émissions ou presque. Près de 11 millions d’Américains s’endorment, ou se réveillent, au choix, en écoutant son podcast. La success story de son émission radiophonique, « The Joe Rogan Expérience », n’est plus à démentir : 190 millions de personnes à travers le monde – Australie, Nouvelle-Zélande – téléchargent ses émissions tous les mois. Parmi les innombrables podcasts proposés sur Spotify, le petit bébé de Joe Rogan trône en tête. Loin, très loin devant les très populaires New York Times et Michelle Obama, respectivement 5 et 4 millions d’auditeurs au compteur.

La recette de ce succès ? Un cocktail détonnant alliant une majorité de franc-parler, une pincée de populisme et une bonne dose de rhétorique anti-élites. « The Joe Rogan Expérience » (JRE) est lancé dans la jungle des podcasts en 2009 : treize ans et 1 776 épisodes plus tard, le programme est devenu une marque à part entière. Repère des complotistes pour les uns, espace de libre-parole pour les autres : les avis divergent sur le véritable dessein de JRE. Pourtant, tout au long de ses années, son show s’est signalé par son éclectisme. Pêle-mêle, on retrouve des noms prestigieux et pas franchement soupçonnés de conspirationnisme : l’homme politique Bernie Sanders, le lanceur d’alerte Edward Snowden, l’ex-cycliste Lance Armstrong ou encore… l’entrepreneur Elon Musk. En 2018, le patron de Tesla, dans le top 5 des personnalités les plus riches de la planète, fume un joint en direct avec son acolyte du soir. La séquence fait le tour du monde et participe de la légende du podcast.

La recette Rogan fait un carton plein auprès de la gent masculine. Plus de 70 % de ses auditeurs sont des mâles, plutôt jeunes, de 24 ans en moyenne. Un déséquilibre qui vaut à Joe Rogan d’être taxé de « viriliste » par ses détracteurs. Son succès dérange. Doux euphémisme. Il y a un mois, en pleine cinquième vague de Covid, Neil Young lance la fronde anti-Rogan. Le chanteur aux 2,4 millions d’abonnés , échaudé par les sorties de Joe Rogan sur l’efficacité du vaccin contre le Covid-19, lance un ultimatum à la plateforme. « C’est Rogan ou Young, déclare-t-il. Pas les deux. » Le guitariste américain reproche au podcasteur de décourager la vaccination auprès des jeunes. Dans le viseur de Young ? Une vidéo qui date du printemps 2021, dans laquelle Joe Rogan relativise l’efficacité du sérum. « Si vous êtes une personne en bonne santé, que vous faites du sport, que vous êtes jeunes et que vous mangez bien, je ne pense pas que vous ayez besoin de vous inquiéter. Si vous avez 21 ans et que vous me demandez “Est-ce que je devrais me faire vacciner”, je dirais “non”», avance-t-il alors. Crime de lèse-majesté outre-Atlantique. A l’heure de la cancel culture, toute voix hors de la doxa est considérée comme dissidente. Neil Young déplore que Spotify soit devenu un lieu où « des mensonges sont vendus contre de l’argent ».
Avant d’ajouter, se portant garant de la liberté d’expression : « Je soutiens la liberté d’expression et n’ai jamais été en faveur de la censure. Les entreprises peuvent choisir de quoi elles tirent profit, comme je peux choisir de ne pas avoir ma musique sur une plateforme qui dissémine des informations dangereuses. Je suis heureux et fier d’œuvrer pour la solidarité avec les professionnels de santé. » Curieuse conception de la liberté d’expression, où chacun décréterait à sa guise le caractère dangereux d’une information.

La menace de Young trouve écho : la chanteuse de folk canadienne de 78 ans, Joni Mitchell, aux 3,7 millions d’abonnés, quitte le navire Spotify le 28 janvier. « Des irresponsables répandent des mensonges qui coûtent la vie à des gens. Je suis solidaire de Neil Young et des communautés scientifiques et médicales mondiales sur cette question », se justifie-t-elle. Le #DeleteSpotify commence même à faire florès sur Twitter durant quelques heures. De nombreux artistes emboîtent le pas de Joni Mitchell, retirant leur contenu de la plateforme, à l’image d’India Arie, Brené Brown et Roxane Gay. Prémices d’une tempête médiatique ?

Que nenni. Spotify ne cède pas d’un iota face aux déferlantes de fatwas 2.0. La plateforme défend mordicus la star américaine du podcast mis sur le banc des accusés, via Daniel Ek, le directeur suédois de l’entreprise. « Nous devrions avoir des lignes claires sur notre contenu et agir quand elles sont franchies, mais effacer des voix est une pente glissante », plaide-t-il.

Dans le brouhaha de la polémique, et pour jeter l’anathème sur le présentateur, des vidéos où Joe Rogan emploie le mot « nègre » sont tout de même exhumées par ses contempteurs. Voilà Joe Rogan sommé de faire acte de pénitence en mondovision. Et de supprimer pas moins de 70 contenus sous la pression des ayatollahs numériques. Dans une parodie d’auto-flagellation publiée sur Instagram, il présente des « excuses humbles et sincères ». C’est « horrible, même pour moi », concède-t-il.

Conséquence directe pour Spotify : l’action dévisse en bourse quelques jours plus tard. Toute cette histoire pourrait même aboutir à la naissance d’une fable : Le roi d’Internet et les tartuffes de la liberté d’expression. Qui a dit que le pouvoir de résonance des nouveaux inquisiteurs moraux était surévalué ?

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