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Peine de mort : comment le meurtre sordide d’une fillette a retardé l’abolition de 70 ans

Si l'on célèbre ce samedi 9 octobre les 40 ans de la fin de la peine de mort, l'abolition aurait pu intervenir dès 1908. Soutenue par le président de la République et l'Assemblée nationale, la mesure a été enterrée après le meurtre d'une jeune fille de 11 ans. Récit.

Image d'illustration

Par : Pierre Lann

Il fait très froid ce 8 février 1907. Dans un casier de consigne de la gare de l’Est, on retrouve le corps d’une jeune fille, recroquevillé et recouvert d’une fine pellicule de givre. Elle s’appelle Marthe Erbleding, 11 ans. Elle est portée disparue depuis le 27 janvier. Un ami de ses parents, Albert Soleilland, l’a accompagnée voir un spectacle à Ba-Ta-Clan, comme on disait alors. Il dit l’avoir perdue de vue à l’entracte. La police a lancé de grandes recherches pour la retrouver autour de la salle de spectacle, sans succès. En fait, Albert Soleilland n’a jamais emmené Marthe Erbelding au Bataclan. L’autopsie va révéler que la petite a été violée, étranglée puis poignardée au cœur. Après plusieurs interrogatoires, Soleilland avoue son crime. Et ce fait divers va retarder l'abolition de la peine de mort.

Très vite, l’affaire suscite une intense émotion dans Paris. Les journaux racontent qu’entre cinquante et cent mille personnes ont accompagné le cercueil de la petite Marthe jusqu’au cimetière de Pantin. Comme c’était l’usage au début du XXe siècle, une complainte est créée et chantée aux coins des rues parisiennes. La presse fait ses choux gras de l’affaire, dont le retentissement devient national. On réclame la tête du tueur. « La société veut sa vengeance », titre Le Petit Parisien. Le Figaro souffle aussi sur les braises : « Il n’y a qu’un voyage qui soit capable d’effrayer [les criminels], c’est le grand voyage, celui dont on ne revient jamais. »

BOURREAU AU CHÔMAGE

Tous les regards se tournent vers le président Armand Fallières. Abolitionniste convaincu, il gracie systématiquement tous les condamnés à mort depuis son arrivée à l’Élysée en 1906. Le bourreau, Anatole Deibler, est au chômage technique. Il a dû se reconvertir dans le commerce du vin. La guillotine a du plomb dans l’aile, et il se murmure qu’elle pourrait être définitivement remisée. L'Assemblée nationale, largement composée de radicaux et de socialistes, est réputée favorable à l’abolition. Une proposition de loi pour abroger la peine capitale doit justement lui être soumise par le garde des Sceaux Aristide Briand. La France s’apprête à rejoindre ses voisins ayant déjà tourné la page des exécutions (Pays-Bas, 1870, Italie, 1889), mais l’affaire Soleilland va tout bouleverser.

Le procès s’ouvre le 13 septembre 1907. L’opinion publique veut une condamnation à mort et espère que le président Fallières ne le graciera pas. La propre femme du meurtrier réclame aux jurés « qu’on la laisse le tuer elle-même ». Le délibéré sera expéditif. Il ne durera que 20 minutes. Le « monstre » Albert Soleilland est condamné à mort par la Cour d’assises de la Seine. La France est alors suspendue à la décision de Fallières. Assumera-t-il de gracier le tueur ? Fidèle à ses convictions, le président commue la peine capitale en travaux forcés à perpétuité, ce qui suscite une intense colère populaire. Le tueur sauvera sa tête mais mourra de tuberculose en 1920 au bagne de Guyane.

Le Petit Parisien organise un sondage auprès de ses lecteurs. Un million et demi de personnes y répondent : 74 % d'entre eux se disent favorables à la peine de mort. Un chiffre relativement proche du sondage de l’IFOP qui en 1981 annonçait que 63 % des Français souhaitaient le maintien de la peine capitale.

Comme aujourd'hui et comme en 1981, la France de 1907 est travaillée par un climat d’insécurité vivace. On s’écharpe à l’Assemblée Nationale sur les statistiques publiées par le ministère de la Justice. Des faits divers sanglants défraient la chronique. À Paris, les Apaches, des bandes de jeunes voyous, descendent des hauteurs de Ménilmontant pour dépouiller les badauds. Dans le nord de la France, les « bandits d’Hazebrouck » s’attaquent aux fermes isolées. Dans la Drôme, des « chauffeurs » s’introduisent à la nuit tombée dans les maisons et brûlent les pieds de leurs habitants sur les braises de la cheminée pour leur faire avouer où se cachent leurs économies.

BRIAND CONTRE BARRÈS

Ce contexte va peser très lourd en 1908, lorsque pour la première fois l’abolition de la peine de mort a une chance d’aboutir en France. Le projet de loi d'Aristide Briand finit par arriver devant l'Assemblée nationale. Mais les députés qui, deux ans plus tôt avaient voté la suppression des crédits au bourreau Anatole Deibler, ont changé de camp. L'affaire Albert Soleilland se retrouve au cœur de débats particulièrement virulents. « Pour ma part, je demande que l’on continue à nous débarrasser de ces dégradés, de ces dégénérés, dans les conditions légales d’aujourd’hui. Quand nous som­mes en présence du criminel, nous trouvons un homme en déchéance, un homme tombé en dehors de l'humanité », vitupère Maurice Barrès, le leader du camp nationaliste.

« Je ne crois pas que les partisans les plus résolus de la peine de mort viennent prétendre que l'exécution de Soleilland aurait été de nature à empêcher dans l'avenir des crimes pareils à celui qu'il avait com­mis », répond le député Joseph Reinach. « Ceux qui assistent à l'exécution sont à leur tour des meurtriers et des complices du meurtre », poursuit le député Albert Willm, sans convaincre. Le projet d'Aristide Briand échoue. Les exécutions reprennent dès l'année suivante. Il faudra attendre 1981 pour que la page se tourne. La France est le dernier pays d'Europe occidentale à avoir abrogé la peine de mort.


(SOURCE) : marianne.net LIRE L'ARTICLE COMPLET



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