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Violences sexuelles en maternelle : un parcours du combattant pour les familles

La question des violences sexuelles entre enfants à l'école dérange. L'institution préfère fermer les yeux et les jeunes victimes s’enferment souvent dans le mutisme.

Image d'illustration

Vendredi 22 avril 2022, à Bois-Colombes, dans les Hauts-de-Seine. Les trottoirs de la ville sont envahis par le bruit de jeunes écoliers rieurs que le goût des vacances ne peut plus retenir. Une petite fille, Julie*, joue au parc avec son frère Pierre sous le regard attendri de leur mère. De retour à la maison, la fillette se plaint d’une douleur à l’entre-jambes qui s’intensifie au moment de prendre sa douche. Sa maman regarde, sa vie bascule : elle constate avec effroi la présence de sang. Entre deux sanglots, Julie explique avec ses mots d’enfant ce qu’un camarade lui a fait subir. « Un petit garçon, dans la classe de notre aîné, a profité de la récréation du matin pour emmener notre fille dans un coin, lui a mis la main dans la culotte et l’a pénétrée avec ses doigts malgré les refus de notre fille », confie Armelle, la mère de Julie. Le garçonnet avait interdit à la malheureuse élève de petite section d’en parler à la maîtresse.

Les démarches n’aboutissent pas

Le soir-même, Julie est emmenée aux urgences de l’hôpital Necker, à Paris, pour faire constater l’agression. Les docteurs se veulent rassurant, la déchirure n’est “que” partielle. L’école est prévenue dans la foulée. Dès le lendemain, Armelle et son mari portent plainte pour viol au commissariat d’Asnières. Deux jours plus tard, à la demande de la police, la famille se rend à l’hôpital médico-judiciaire de Garches pour que Julie soit examinée selon la procédure. Le 15 mai, Julie est auditionnée, seule, au commissariat pour les enfants de Nanterre. Une épreuve difficile et impressionnante pour la petite fille de trois ans.

« Immédiatement après, nous nous sommes retrouvés seuls. Plus de son, plus d’images pendant quinze jours », raconte Armelle. Les vacances sont vécues dans l’angoisse de la rentrée. La demande a été faite auprès de l’école d’écarter le petit garçon de la classe de Pierre, le fils aîné. « Il n’y avait aucun moyen de savoir si la famille du petit garçon avait été contactée », déplore la mère de famille. La priorité est de faire oublier ce traumatisme à la petite fille. Le garçon change de classe.

« Mais on s’est vite aperçu que l’école ne tenait pas sa parole : sous couvert de présomption d’innocence, parce que l’enquête n’était pas bouclée, l’école ne pouvait pas refuser l’accès au périscolaire au petit garçon », explique Armelle. Résultat : Julie et Pierre continuent de côtoyer le garçon de cinq ans. Pire, les parents apprennent que la mairie n’a pas été prévenue. « On y a été reçu fin juin alors que les faits se sont déroulés en avril », s’indigne la mère de famille qui ne sait plus qui alerter. Elle choisit d’en parler autour d’elle, de prévenir les familles de l’école, de faire le plus de bruit possible pour que cet épisode ne se répète pas.

L’école tente d’étouffer l’affaire ?

« Tous les matins en me réveillant, c’était la première chose qui me revenait », raconte Armelle. Et la famille n’est pas aidée. L’école déçoit la mère de famille, « l’institution s’était complètement murée. Les instituteurs avaient reçu pour consigne de ne plus nous parler. » Le sujet embarrasse, raison pour laquelle le tabou n’est pas encore levé. Hélène Romano travaille depuis 30 ans sur le phénomène des violences à l’école. « Lorsqu’il y a des violences sexuelles en milieu scolaire, c’est toute l’institution qui est remise en cause », explique la psychothérapeute.

« L’école n’est pas prête à endosser sa responsabilité de n’avoir pu protéger des enfants », poursuit-elle. L’établissement de Julie estime que la parole d’un enfant de trois ans n’est pas fiable et qu’il s’agit peut-être d’un adulte et pas d’un petit garçon. Globalement, l’école ne souhaite pas entacher sa réputation. Si bien qu’au bout d’un moment, les rôles s’inversent. « Nous sommes passés du statut de victime à celui de bourreau : on nous a reproché d’en avoir trop parlé, alors que nous attendions de l’aide », déplore Armelle.

La famille est désemparée. Armelle n’admet pas qu’on l’intime au silence. « J’ai eu la sensation que l’école avait gagné : on retire nos enfants de l’établissement, cela nous impacte financièrement, et le petit garçon continue sa petite vie tranquillement. » Même les instances spécialisées ignorent le désarroi de la famille. A croire que la consigne de se taire existe bien : « La psychologue scolaire ne peut pas vous prendre en charge maintenant, elle est débordée avec 27 établissements à sa charge. » Une seule psychologue pour une trentaine d’écoles, et une affaire de cette importance qui n’est pas jugée prioritaire. « Il y a des parents qui subissent des choses extrêmement violentes », commente Hélène Romano.

Une réalité déniée et banalisée

Pour la psychothérapeute, le cas de Julie n’est pas isolé. Il est très difficile de faire aboutir une enquête sur ce sujet. D’abord, parce que « la seule étude qui avait été tentée d’être faite, c’est la mienne », rappelle Hélène Romano, en précisant qu’il n’existe pas d’étude chiffrée de ce phénomène. Autre difficulté : les enfants n’en parlent pas la plupart du temps, ils craignent d’être inquiétés ou grondés. Et malheureusement, pour la professionnelle de la santé, « beaucoup d’adultes ne veulent pas voir : il y a une grande confusion entre des jeux sexuels et des agressions sexuelles ». En l’occurrence, le petit garçon a agi selon une procédure qui ne permet pas de doute : « Dans le cas où l’enfant veut le cacher pour ne pas être pris, on est dans un mode opératoire d’un enfant à qui on aurait déjà dit cela, et donc il le répète. » Et si l’école fait tout pour étouffer ce type de comportements, c’est que l’on se trouve dans une forme de banalisation du phénomène.

Ce qu’a subi Julie, c’est le résultat d’un « décalage important entre des campagnes de sensibilisation à tout va et la réalité, analyse Hélène Romano. Aujourd’hui, on a un problème avec l’intimité : les représentations du corps ont changé. Cela ne dérange personne que les stars des réseaux sociaux affichent leurs bébés nus sur la plage. On banalise une intimité dévoilée. » Par ailleurs, « ce qui ne va pas dans la prise en charge de telles affaires, c’est la vieillesse du système », renchérit Armelle. Les psychologues de l’Education nationale n’ont aucune formation aux violences sexuelles. « Il s’agit d’un fonctionnement institutionnel perverti : on va inverser les responsabilités, on va culpabiliser un enfant qui n’est pas en âge de se défendre, on va créer de la confusion », analyse Hélène Romano.

« Je ne fais plus confiance à personne »

Armelle est lucide. Si elle s’est battue avec son mari c’est « pour qu’on aide ce petit garçon, et qu’il arrête de faire ça. S’il agit ainsi à cinq ans, que fera-t-il dans dix ans ? » Désormais, la petite Julie va mieux. Elle profite de ses deux mois de vacances estivales et a changé d’école. Mais « cet épisode a volé une partie de l’innocence de notre fille », regrette sa mère, émue. Le traumatisme ne disparaitra pas. Pas même chez cette mère de famille, qui a dû affronter la dure réalité, au soir de ce 22 avril. « Je ne fais plus confiance à personne. Dès que je vois des gens s’approcher d’elle et même vers d’autres enfants, je me demande ce qu’il va se passer. » Hélène Romano lutte depuis plusieurs dizaines d’années contre ces violences, documentées mais toujours taboues. « C’est une réaction de déni sociétal, observe-t-elle. Il faut protéger la société de quelque chose, donc on préfère se taire. »

La psychothérapeute, auteure de La parole de l’enfant, témoin ou victime, réclame des mesures depuis trop longtemps : « En amont, il faudrait former les professionnels. Qu’est ce qui est adapté ? Qu’est ce qui ne l’est pas ? Quand signaler ? Il faut former au repérage, former à la prise en charge. Il faudrait véritablement que les textes soient appliqués, encore faudrait-il que les textes existent. Il faut qu’il y ait un signalement qui soit fait, et surtout évaluer le contexte de vie de cet enfant pour comprendre. » Mais sans volonté politique, peut-on espérer des réponses ? « On en parle beaucoup aujourd’hui, mais on agit encore moins », s’indigne Hélène Romano, esseulée.

* Les prénoms ont été changés par souci d’anonymat

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