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Dans la tête de Robert Ménard

Le maire de Béziers est une énigme politique. À la fois zemmourien, mariniste et aucun des deux, Robert Ménard était l'un des plus fervents partisans de l'union des droites, il en est devenu l'un des principaux freins. Retour sur la pensée multiple d'un homme qui assume ses incessants revirements.

Image d'illustration

« Pasqua me disait toujours : avec des amis comme ça, on n’a pas besoin d’ennemis. » Éric Zemmour a compris depuis bien longtemps qu’il ne pouvait plus compter sur son ami Robert Ménard. En janvier dernier, dans un appartement du VIIe arrondissement de Paris prêté par des amis pour l’occasion, les deux hommes – accompagnés par Sarah Knafo et Emmanuelle Ménard – tentent de recoller les morceaux. Zemmour veut faire redescendre la tension. Ménard souhaite des réponses.

L’ancien de la Ligue communiste révolutionnaire n’a pas apprécié la pré-campagne du président de Reconquête !. « Pourquoi tu défends Pétain ? Pourquoi tu vas au Bataclan ? Pourquoi tu fais ce doigt d’honneur ? » Lors du dîner, Éric Zemmour répond à toutes les interrogations de l’édile, sans parvenir à le convaincre pour autant. Au moment de se quitter, le candidat souffle à son voisin : « Au nom de notre amitié, il serait préférable qu’on mette nos divergences politiques de côté. » Raté. Un mois plus tard, la guerre en Ukraine éclate.

Le maire qui jadis alertait ses habitants sur les conséquences de l’arrivée massive d’immigrés dans sa commune va devenir l’un des porte-drapeau de l’accueil des réfugiés ukrainiens. Il regrette même ses prises de position passées. « J’ai dit, écrit, publié à Béziers un certain nombre de choses au moment des combats en Syrie et en Irak et de l’arrivée des migrants chez nous que je regrette, que j’ai honte d’avoir dites et faites, parce que ce n’était pas bien », confesse-t-il sur le plateau de LCI début mars. « Éric Zemmour divise la France », ajoute-t-il. Un monde sépare désormais les deux anciens journalistes.

Robert Ménard est pourtant l’un des grands artisans de la percée d’Éric Zemmour dans le monde politique. En décembre 2018, le maire de Béziers, qui n’a pas encore renoué les liens avec Marine Le Pen, adresse une lettre passionnée au chroniqueur du Figaro. Il l’implore de se lancer : « Cette union des droites, des Républicains au Rassemblement national en passant par Debout la France, peut se faire, à notre sens, derrière une seule personnalité, derrière un homme qui fait la quasi-unanimité chez les sympathisants et militants de toute la droite : Éric Zemmour. » Puis Ménard dresse son portrait : « Sa rigueur et son courage ne sont plus à démontrer. Il sait dire notre attachement à la France, à sa culture, à son histoire, à son ancrage dans notre civilisation chrétienne […] Il est le visage contemporain de ces intellectuels engagés qui ont fait de notre pays ce qu’il est. »

Son ami ne « divise » pas encore la France. Le maire active ses réseaux. Il en parle à des amis au RN, qui proposent à Éric Zemmour la troisième place sur la liste des européennes. Ce dernier refuse. L’édile est déçu. Un an et demi plus tard, l’élu revient à la charge avec une nouvelle lettre. « Tu devras absolument être candidat à la présidentielle », lui écrit-il. Durant plusieurs mois, Robert Ménard tente d’accélérer la prise de position d’Éric Zemmour. Au printemps 2021, il organise des déjeuners avec sa femme, Éric Zemmour, Sarah Knafo, et Guillaume Peltier. Il cherche à faire venir le vice-président des Républicains dans la précampagne.

De Zemmour à Le Pen

Au mois de juin, le (premier) sondage donnant Éric Zemmour à 5,5 % douche les espérances de Robert Ménard. Il prend du recul, se persuade que le RN va s’emparer de quelques régions. Il reprend alors contact avec Marine Le Pen. Avant les élections régionales, il se répand dans la presse pour critiquer une potentielle candidature synonyme de division du camp national et appelle à faire front derrière la candidate. L’été passe.

À l’automne, la star de CNews quitte les plateaux de télévision pour se lancer dans la “croisée des chemins” et faire la promotion de La France n’a pas dit son dernier mot (Rubempré). Dans son livre, il déplore les revirements successifs de son ami – « passionné et versatile, sanguin et impressionnable » – et paraphrase le proverbe de François Ier en guise de souvenir : « Souvent Robert varie, bien fol est qui s’y fie. » Ménard n’apprécie guère la dédicace, mais il se décide tout de même à inviter Éric Zemmour et ses équipes à Béziers mi-octobre. La salle Zinga Zanga résonne. L’accueil est chaleureux. Il assume son étonnement. « Je n’avais pas imaginé l’accueil que la France te réserverait, je me suis trompé », avoue-t-il à Éric Zemmour devant plus d’un millier de Biterrois.

Mais le cofondateur de Reporters sans frontières ne veut pas prendre parti. Il propose « de se retrouver » en février prochain, « quand les choses se cristallisent ». Il souffle l’idée d’un dîner avec Marine Le Pen. Zemmour refuse et propose plutôt un débat, que la candidate du RN refuse. Il soutiendra finalement Marine Le Pen au début du mois de janvier en lui apportant son parrainage. « Je ne sais pas comment ses épaules tiennent avec le nombre de vestes qu’il a retournées, raille un proche d’Éric Zemmour. Un trotskiste reste un trotskiste. »

Pendant un temps, Marine Le Pen a réussi à éviter la foudre biterroise. Après plusieurs années sans même s’adresser la parole, la candidate du RN et l’édile de Béziers ont repris contact il y a de cela quelques mois. Autrefois très critique à son encontre, Robert Ménard s’est félicité de voir Marine Le Pen lisser son image et revoir entièrement certains pans de son programme. L’ancien journaliste rejette désormais toute forme de radicalité. Celle-là même avec laquelle il a longtemps fait passer ses idées. À Béziers, on se souvient encore de ses campagnes d’affichage volontairement provocatrices exposées dans les rues de la ville.

En 2017, plusieurs associations féministes portent plainte contre la Mairie pour avoir mis en scène une femme ligotée sur des rails, apeurée face à l’arrivée imminente d’un TGV lancé à pleine vitesse. Le slogan ? “Avec le TGV, elle aurait moins souffert !”. Robert Ménard milite alors pour l’ouverture d’une ligne grande vitesse entre Montpellier et Perpignan. Les plaignantes y voient plutôt une apologie des féminicides. Robert Ménard a gagné son procès, mais il assure aujourd’hui regretter ces « conneries », citant aussi son affiche sur les migrants – “Ça y est, ils arrivent”. « Il faut qu’on sorte nos idées du ghetto dans lequel elles sont enfermées », souffle-t-il.

Il ne peut donc qu’adouber la Marine Le Pen apaisée et assagie qui se lance corps et âme dans sa troisième campagne présidentielle. L’entourage de la candidate lui propose même d’être nommé porte-parole. « Je pense que ça ne tiendra pas plus de cinq minutes », leur répond-il. Le RN est tenace et propose le même poste à Emmanuelle Ménard, députée non inscrite : « Avec elle, ce sera trois minutes ! » Robert Ménard assume sa pensée fluctuante, chérit sa liberté. Ne comptez pas sur lui pour rejoindre les instances d’un quelconque parti. Sa dernière aventure militante, c’était en 1981, pour le Parti socialiste de François Mitterrand. En janvier, quand Marine Le Pen débarque à Béziers pour sceller officiellement ces retrouvailles, Robert Ménard lui réaffirme d’ailleurs sa position : « Mon plus, c’est que, malgré mes critiques, je suis toujours là pour voter pour toi. Mon défaut, c’est que je pense à voix haute. »

Un “soutien” dont le RN se serait bien passé

Et il l’a prouvé. Pendant l’entre-deux-tours, le “sniper” Robert Ménard fait son retour. Bon client pour les médias, les chaînes d’information lui font commenter les moindres faits et gestes de “sa” candidate. Et l’édile se révèle être un soutien pour le moins ambigu, n’hésitant pas à tancer en public les choix stratégiques de Marine Le Pen pendant la dernière quinzaine de la campagne. Si elle tend la main à Éric Zemmour pour les prochaines législatives, c’en est fini de son soutien. Déjà la cible des médias et de toute la classe politique, Marine Le Pen doit composer avec les humeurs de Robert Ménard.

Depuis les plateaux, il fustige la tenue d’une conférence de presse sur ses propositions quant à la politique internationale. La même semaine, il assure que la proposition de la candidate d’interdire le voile islamique dans la rue est « une erreur ». Des critiques d’autant plus dommageables pour la candidate qu’elles sont comptabilisées dans le temps de parole médiatique du parti. Au grand désarroi de l’équipe de campagne de Marine Le Pen. « On ne va quand même pas se réjouir de voir notre chronomètre descendre à chaque fois qu’il nous crache dessus ! », se désole alors Jean-Philippe Tanguy, le directeur adjoint de la campagne. Avec des amis comme ça… Face à une situation ubuesque, Robert Ménard décide de se mettre en retrait.

Les ponts ne sont pas coupés pour autant. La dernière fois qu’il a échangé avec Marine Le Pen, c’était il y a dix jours à peine. Il venait, une nouvelle fois, de provoquer l’interrogation de ses camarades marinistes. Dans une tribune publiée dans le Figaro , Robert Ménard exhorte cette fois « les sociaux-démocrates, les centristes, les droites, toutes les droites responsables, les élus indépendants » à faire bloc derrière la majorité sortante face au « danger palpable » que représente la Nupes nouvellement constituée. S’ensuit un rapide échange de SMS avec Marine Le Pen. L’édile de Béziers se veut rassurant : il continuera à la soutenir. Drôle de soutien. Alors que le Rassemblement national ne présentera pas de candidats face à Emmanuelle Ménard dans la 6e circonscription de l’Hérault, il serait sans doute mal vu de cracher un peu trop dans la soupe.

En même temps zemmourien et mariniste, Robert Ménard serait-il tout de même tenté de conclure son travail de respectabilité par une expédition en Macronie ? À première vue, tout ou presque sépare le président de la République de Robert Ménard. Ces derniers mois, l’édile a pourtant multiplié les appels du pied en direction de l’Élysée, félicitant le chef de l’État pour sa gestion du Covid ou de la récente crise internationale. « La France survivra à Macron », assure-t-il désormais. Dans sa lettre à Zemmour, il alertait pourtant sur « l’urgence de la situation pour la France » et affirmait que « le temps de la France est compté ».

Comment expliquer ce nouveau virage à 90 degrés ? Les deux hommes ne sont pas proches, loin de là, mais ils se sont rencontrés à deux reprises. La première fois, c’était en septembre dernier, à l’occasion d’une cérémonie d’hommage aux harkis. Emmanuel Macron avait personnellement invité Robert Ménard, né à Oran de parents pieds-noirs, à l’Élysée. Ils avaient échangé quelques mots, tout au plus.

Un avenir loin de la politique ?

Deux mois plus tard, Emmanuel Macron descend cette fois à Béziers. Dans le cadre d’un plan relance censé favoriser la réindustrialisation, l’entreprise biterroise Genvia, spécialisée dans l’hydrocarbure, se voit dotée d’une subvention de 200 millions d’euros. Une aubaine pour Béziers et son maire, qui salive déjà des retombées économiques.

Faut-il y voir un lien avec la relative complaisance de Robert Ménard à l’égard d’Emmanuel Macron ? « Du complotisme », balaie l’intéressé. Il s’offusque tout autant qu’on ait pu, un temps, lui prêter des ambitions ministérielles. L’ancien journaliste s’est lassé de la politique. Conscient d’avoir fait son temps, il ne se représentera pas pour un troisième mandat à Béziers. Que fera-t-il ensuite ? Lui-même avoue ne pas le savoir. Continuera-t-il de soutenir les figures du camp national ? Il en doute. Robert Ménard a perdu confiance en l’union des droites et en ceux qu’il pensait pouvoir l’incarner : « J’ai longtemps cru qu’il fallait les aider ad vitam aeternam . Je commence à croire qu’il faut juste les remplacer… »

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