France

[France][bsummary]

Europe

[Europe][bsummary]

International

[International][bsummary]

SCI-TECH

[SCI-TECH][bigposts]

Faits divers

[Faits divers][twocolumns]
Suivez nous sur :

L’Europe schizophrène face à la crise polonaise

Agressée à sa frontière par une Biélorussie qui utilise les migrants comme levier géopolitique, la Pologne n'a pas demandé le soutien de l'Union européenne. Et pour cause : s'agissant de politique migratoire, Bruxelles nage en plein aveuglement idéologique.

Image d'illustration

Sur les images qui nous arrivent par les réseaux sociaux, on voit des milliers de migrants venir se masser le long de la frontière polonaise avec la Biélorussie, tentant de franchir le mur barbelé et hurlant leur volonté de rejoindre l’Europe occidentale. Pour comprendre cette nouvelle crise, que l’on devrait qualifier de géopolitique plutôt que de migratoire, il faut remonter quelques mois en arrière, à l’interception par la Biélorussie d’un vol Ryanair en provenance d’Athènes et à destination de Vilnius, en Lituanie.

Ce 23 mai 2021, la Biélorussie déroute un vol à bord duquel se trouve l’opposant Roman Protassevitch, que le pouvoir d’Alexandre Loukachenko accuse d’avoir « coordonné » le mouvement de manifestations ayant suivi la présidentielle du 9 août 2020. Un mois après cette arrestation, l’Union européenne impose des sanctions économiques à la Biélorussie pour manifester sa désapprobation. Loukachenko contre-attaque, menace de stopper le transit du gaz russe vers l’Europe et… organise cette attaque contre la frontière polonaise de l’Union européenne.

Il ne fait aucun doute que cette agression frontalière est l’œuvre de Minsk, qui utilise les migrants comme une arme dans ce que l’on appelle désormais une guerre “hybride”. Cela a été décrit précisément par les gardes-frontières polonais, images à l’appui, qui détaillent sur Twitter le comportement des soldats biélorusses qui « enlevaient des poteaux et déchiraient le concertina à l’aide d’un véhicule de service », éblouissant les Polonais avec « des rayons laser et effets stroboscopiques ». Avant même l’affrontement à la frontière, comment 4 000 migrants, principalement des Kurdes du Moyen-Orient, se retrouveraient-ils dans une forêt glaciale aux confins de la Pologne et de la Biélorussie, si ce n’était grâce à l’intervention de l’État biélorusse – ils possèdent des visas -, de compagnies aériennes étatiques – Aeroflot pour la Russie, Turkish Airlines pour la Turquie – et d’agences de voyages de mèche avec les passeurs ?

L’arme migratoire au coeur de la géopolitique

Ce n’est pas la première fois que l’Union européenne est la cible d’une telle attaque à sa frontière orientale. En mars 2020, Recep Tayyip Erdogan faisait déjà pression sur Bruxelles en concentrant plus de 1 30 000 migrants à la frontière grecque, et cinq ans plus tôt, il ouvrait les vannes migratoires, obtenant une subvention – 6 milliards d’euros ! – en échange de laquelle il cesserait de déverser des migrants en Europe. En mai dernier, le Maroc mettait lui aussi l’Union sous pression en laissant 8 000 migrants rejoindre Ceuta pour punir l’Espagne de son attitude dans la zone du Sahara occidental.

Le chantage polonais est-il l’œuvre du seul Loukachenko ou ce dernier a-t-il reçu le soutien de puissances habituées de ces manœuvres ? Pointée du doigt par plusieurs pays de l’Est, la Russie a tout de suite démenti par la voix de son président. « Il faut probablement croire Vladimir Poutine, explique l’avocat et ancien secrétaire d’État Pierre Lellouche, mais il faut aussi noter que cela ne lui déplaît pas de créer un problème pour l’Europe. Cette crise le place au cœur du jeu. » Il y a quelques jours, Angela Merkel demandait en effet au président russe d’intervenir, quand plusieurs ministres français faisaient de même auprès du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

L’Europe vulnérable et divisée

Moscou n’a donc peut-être rien fomenté à l’origine, mais il soutient clairement son voisin, en dépêchant des avions de chasse dans la région et en renvoyant les Européens à leurs contradictions – Lavrov estime que la solution à ces problèmes réside « dans le respect des principes internationaux des droits de l’homme » , autrement dit, dans l’accueil de ces migrants par l’Union européenne. La Turquie, quant à elle, a fait plus d’efforts pour se désolidariser de l’agression biélorusse en interdisant de vol vers Minsk les ressortissants de Syrie, d’Irak et du Yémen au départ des aéroports turcs.

La leçon de ces événements est dure pour l’Union européenne. Tout d’abord, cet épisode met en lumière une Europe vulnérable en raison de ses propres principes et de son sacro-saint “État de droit”. Ses ennemis appuient sur cette fragilité.

Le 7 octobre dernier, douze ministres de l’Intérieur de pays membres écrivaient à la Commission pour lui demander de revoir la législation européenne afin d’assurer une prévention efficace des franchissements illégaux aux frontières. « Une barrière physique apparaît comme une mesure de protection des frontières efficace, qui sert les intérêts de l’ensemble de l’Union européenne », écrivaient les ministres, qui ajoutaient : « Cette mesure légitime devrait faire l’objet de financements supplémentaires et adéquats dans le budget européen. » Plus d’un mois plus tard, les ministres n’ont reçu aucune réponse…

Un épisode récent illustre lui aussi le mal-être européen en la matière. Le 10 novembre dernier, Chypre demandait à la Commission européenne le droit de suspendre les demandes d’asile des personnes « entrant illégalement dans le pays », pour pouvoir gérer plus efficacement un afflux inhabituel de migrants à sa frontière avec la zone contrôlée par la Turquie. Là encore, cette demande désespérée n’a reçu pour l’heure aucune réponse de Bruxelles.

Schizophrénie au sein des institutions européennes

L’Europe est fragile, donc, mais elle est aussi divisée. Sans même parler des différences de positionnement entre États membres, on entend des voix discordantes s’élever au sein même de ses institutions, flirtant parfois avec la schizophrénie. Ainsi le vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas, dans la même interview au Figaro , défend-il la modification de leur législation par certains pays de l’Est dans l’optique de pouvoir refouler les migrants – il va même jusqu’à souhaiter que « l’Union prenne aussi des dispositions permettant de couvrir de telles circonstances » -, en même temps qu’il réaffirme de manière « claire » le refus européen de soutenir la construction d’un mur par Varsovie…

Là où l’Union européenne persiste à considérer l’immigration comme une donnée humanitaire ou économique, dans les deux cas un bienfait, des régimes hostiles ont identifié cette faiblesse idéologique et sont décidés à l’utiliser comme un levier géopolitique. Reste à savoir jusqu’où ira le masochisme bruxellois.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans les commentaires sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à 01topinfo.fr ®